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Grandeur et décadence d’un territoire de l’eau PFE

GRANDEUR ET DÉCADENCE D'UN TERRITOIRE DE L'EAU

Etienne BURET, Siméon GONNET, Simon METZ, Isidore SCOTT​

Projet de fin d’étude  2019/2020  

Sommaire cartographique des situations

VOYAGE EN ESPACES FLOTTANTS

Introduction

1. D'une impossibilité de rester à quai

Approche cartographique

Fig. 01 – Photographies d’arpentage​

En octobre 2019 nous nous sommes rendus à Manchester pour tenter d’établir les conditions d’un projet d’architecture sur le réseau hydrique du nord-ouest de l’Angleterre. Munis de cartes satellites et d’une littérature sur l’eau désormais relativement commune aux agences d’urbanisme des capitales européennes, nous présagions lors de notre visite l’émergence d’un champ lexical de la « porosité », capable de former autour de la question de la perméabilité des flux de ce territoire industriel une réponse aux grands enjeux de notre millénaire naissant. Mais aux 3D omniscientes et autres zones vierges de la cartographie numérique, ont rapidement succédé les lames d’acier galvanisé et les réprimandes de personnes  en costume. La protection de la propriété privée en Angleterre a de quoi décourager quand il est question pour nous, jeunes étudiants en architecture, d’explorer physiquement les vides fantasmés par satellite dans lesquels ont muri nos rêves de projets. La frontière invisible du capital s’affronte dans un rapport au corps et à son rejet. Ainsi s’effacent les porosités du territoire à mesure que s’érigent les murs d’acier de la propriété.

De ce constat il nous a fallu trancher : suivre le périmètre bien établi de ces nouvelles frontières qui ne cessent de fragmenter nos savoirs et de nous éloigner du quai, ou plonger définitivement dans les surfaces changeantes du fleuve Mersey  ; espace sans fondation où s’épandent les dangers de la dérive autant que les fantasmes de la possibilité d’une île, de l’existence d’un territoire à ne plus conquérir mais à vivre le temps d’un voyage.

Fig. 02 – Représentation polaire du bassin versant de la Mersey

Description

À l’Ouest, l’estuaire de Dee file en arabesque dans les estrans de la côte sauvage du Cheshire (1) quand l’estuaire de la Mersey perfore la ville de Liverpool (2). À cette même embouchure, la ligne inflexible du Manchester Ship Canal transperce le sol jusqu’a Manchester suivis de près par le Méandre du fleuve de la Mersey (3). À l’ombre des cargos intercontinentaux du chef d’œuvre de la navigation anglaise, les vestiges du Bridge Waters et du Leeds & Liverpool Canal laissent entrevoir leurs figures linéaires entre les flashs effondrés de l’industrie minière et le cloaque boueux des anciens chemins de hallages (4). Un combat du lièvre et de la tortue pour acheminer l’eau dans la ville mère du capitalisme : Manchester (5). Une eau comme matrice de l’espace marchand qui s’échappe finalement de la torture des digues, écluses et autres gazomètres de la cité industrielle pour venir s’éteindre dans les collines du Peak District Park où dorment les grands réservoirs des sources de Greenfield et de la rivière Etherow (6).

2. À nos illustres cartographes

Références littéraires

Abandonnant le mètre et l’équerre pour le sextant et la plume, c’est aux préparatifs méticuleux des grandes découvertes que doit se soumettre tout prétendant à l’architecture des territoires flottants. Mais oubliez ici les relevés altimétriques et les images aériennes, le géomètre-expert et le topographe ; c’est aux récits d’aventures et à la parole des marins en escale que se suspend l’imaginaire de ce nouveau sol édifiable. Aucune grille ni calendrier pour soumettre à ces mythes insulaires un quelconque ordre numérique. Aucune ancre pour enraciner sur nos plans les lignes et le mouvement du territoire dont nous aspirons à l’étude. Fidèle aux peintures de Stephen Lowry sur les rivages de la Mersey, c’est dans l’abstraction de ces horizons marins que s’engage la quête d’une terra incognita sur les voies intérieures de l’Angleterre.

Mais comment ne pas sourire à l’idée de mener conquête sur la propriété du plus grand empire colonial de l’histoire ? De découvrir sous l’œil constant des six millions de caméras qui étoilent le ciel britannique les contours d’une terre inexplorée ? C’est que le véritable angle mort des cartes de la reine ne se trouve pas dans les marges de son pays mais bien à son dos.

En faisant fi des représentations soi-disant objectives du territoire (cadastre, imagerie numérique) pour se laisser guider par la voix de ceux qui l’ont arpenté par les eaux, se dresse le portrait édifiant d’une Angleterre suspendue sur le fil du temps. Aux effluents chlorés des manufactures cotonnières qui occupaient déjà les visions dantesques de Tocqueville sur le territoire mancunien, ont succédé les microplastiques et les carburants ; aux étoffes et aux bijoux mécaniques de l’ère industrielle les valeurs changeantes de la spéculation boursière et des transports hors-sol. Pas même le maitre de l’anticipation George Orwell dans son pamphlet contre l’enfer des mines du nord-ouest de l’Angleterre n’aurait songé à un tel prophétisme de sa vision des classes laborieuses sur les quais du Bridge Water Canal. Oubliez la terre et son soi-disant progrès sur les cartes empilées, c’est aux sillons des eaux et canaux du Mersey que tout recommence et se finit sans cesse : 

« C’est au milieu de ce cloaque infect que le plus grand fleuve de l’industrie humaine prend sa source et va féconder l’univers. De cet égout immonde, l’or pur s’écoule. C’est là que l’esprit humain se perfectionne et s’abrutit ; que la civilisation produit ses merveilles et que l’homme civilisé redevient presque sauvage »

Alexis de Tocqueville, Œuvres complètes : Voyages en Angleterre, Irlande, Suisse et Algérie, Paris, Gallimard, 1958, p. 78-82.

Aussi immuable que les astres ayant guidé il y a des siècles les caravelles de l’empire, c’est à la lumière tenace de cette littérature vagabonde que s’éclaire pour nous la voie de nos pérégrinations : sont demeurés, sur la matrice hydrique du nord-ouest de l’Angleterre, les contours d’un paradoxe immobile sur le seuil de l’Histoire, celui de la perpétuelle obsolescence de la doxa que nous nommons le progrès et qui chaque jour s’épand à l’horizon de nos conquêtes dans l’inertie de sa propre chute.

Fig. 03 – Références disposées sous forme de carte de navigation stellaire

Ivan Illich

Ivan Illich

(1926-2002)

Philosophe

 

H2O, Les eaux de l’oubli

Lieu Commun, Paris, 1988

« Je centre ici la recherche sur l’eau pour réfléchir sur une de ces conditions. Ce qui est en jeu, ce n’est pas l’eau en tant que produit de base, ni son gaspillage ou sa pollution ; ce ne sont pas non plus les conséquences écologiques de captations inconsidérées, ni les conséquences biologiques des déversements de produits toxique […] Certes, ce sont là des questions capitales, mais non dans le sens qui m’intéresse ici. L’eau dont je parle, c’est l’eau nécessaire au rêve d’une ville «habitable». p.29

« En 1842, un ancien collaborateur littéraire du philosophe Jérémy Bentham, Sir Edwin Chadwick, qui était membre de la Commission royale des lois sur l’assistance publique, présentait un rapport sur les conditions sanitaires d’existence de la population laborieuse de Grande-Bretagne. Lewis Mumford en a dit que c’était «un résumé classique de l’horreur paléotechnique ». Dans ce rapport, Chadwick imaginait la ville nouvelle comme un corps social dans lequel l’eau devait constamment circuler. Il fallait que, sans interruption, l’eau soit injectée dans la ville pour la laver de sa sueur, de ses excréments, de ses déchets. Plus ce flot est vif, moins il y a de poches stagnantes engendrant une pestilence congénitale, et plus la cité sera saine. A défaut de cette incessante circulation d’eau dans la ville – d’eau amenée puis rejeté – l’espace intérieur imaginé par Chadwick ne peut que stagner et pourrir. A l’image du corps humain et du corps social, la ville était à présent décrite comme un réseau de tuyaux. Plus leur débit était important et plus grandes étaient la richesse, la santé et l’hygiène de la ville. Harvey avait redéfini le corps en postulant la circulation du sang – Chadwick redéfinissait la ville en «découvrant» sa nécessité d’être constamment lavée.

Tout au long de l’Histoire, l’eau a été perçue comme la matière qui irradie la pureté : à présent, la nouvelle matière est H²O et la survie humaine dépend de sa purification. H²O et l’eau sont devenus des contraires : H²O est une création sociale des temps modernes, une ressource rare qui demande une gestion technique. C’est un fluide sous observation, qui à perdu la capacité de refléter l’eau des rêves. Le jeune citadin n’a aucune occasion de voir des eaux vivantes. On ne peut plus contempler l’eau mais seulement l’imaginer quand on regarde une goutte de pluie ou une humble flaque. » p.84

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George Orwell

George Orwell

(1903-1950)

Ecrivain, Journaliste

 

 

Le Quai de Wigan

Eric Blair, Londres, 1937

« Dans l’émission Réponses à vos questions, diffusée par la B.B.C. le 2 décembre 1943, George Orwell répondait ainsi à la question Quelle est la longueur du quai de Wi­gan, et qu’en est-il au juste de ce quai ? : « Eh bien, je dois avouer, au risque de vous décevoir, que le quai de Wigan n’existe pas. En 1936, je me suis déplacé tout exprès pour le voir – et je ne l’ai pas trouvé. Toutefois, il a bien existé un jour, et, si l’on juge par les photographies, il devait faire quelque chose comme sept mètres de long. Wigan se trouve au cœur du pays minier et, si l’on peut lui trouver certains attraits, ce n’est pas dans le pittoresque du lieu qu’il faut les chercher. Le décor est principalement constitué de terrils évoquant les montagnes lunaires, de montagnes de boue, de cendres et de suie ; pour une raison que j’ignore – il existe cinquante autres endroits qui ne valent pas mieux – Wigan a toujours symbo­lisé la laideur inhérente aux districts de grande industrie. Il y a eu, à une époque, sur l’un des petits canaux bourbeux qui enserrent la ville, un appontement de bois perpétuellement branlant. Un loustic trouva amusant de le baptiser Quai de Wigan. Le mot a fait son chemin, les chansonniers s’en sont emparés et c’est ainsi que se perpétue la légende du Quai de Wigan, démoli depuis longtemps.» p.7

Je me souviens d’un après-midi d’hiver dans ce sinistre décor des environs de Wigan. Tout autour de moi s’étendait un pay­sage lunaire de crassiers, et vers le nord, grâces aux «cols», si l’on peut dire, s’ouvrant entre les montagnes de scories, on apercevait les cheminées d’usine vomissant leurs panaches de fumée. Le chemin longeant le canal n’était qu’un magma de scories et de boue gelée, marqué en tout sens par les em­preintes d’innombrables galoches, et tout autour, jusqu’aux crassiers qui bornaient l’horizon, s’étendaient les flashes – ces mares d’eau croupie rappelant les emplacements des anciens puits effondrés. Il gelait à pierre fendre. Les flashes étaient couvertes d’une pellicule de glace couleur d’ombre froide, les mariniers étaient emmitouflés jusqu’aux yeux dans leurs gros manteaux, les portes des écluses portaient des barbes de glace. On se serait cru dans un monde d’où toute végétation aurait été bannie ; rien n’existait, sauf la fumée, les scories, la glace, la boue, la cendre et l’eau croupie.» p.136

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Gaston Bachelard

Gaston Bachelard

(1884-1962)

Philosophe

 

L’eau et les Rêves

Librairie José Corti, Paris, 1942.

Si la provocation est une notion indis­pensable pour comprendre le rôle actif de notre connaissance du monde, c’est qu’on ne fait pas de la psychologie avec de la défaite. On ne connaît pas tout de suite le monde dans une connaissance placide, passive, quiète. Toutes les rêveries constructives — et il n’est rien de plus essentiellement constructeur que la rêverie de puissance — s’animent dans l’espérance d’une adversité surmontée, dans la vision d’un adversaire vaincu. On ne trouvera le sens vital, nerveux, réel des notions objectives qu’en faisant l’histoire psychologique d’une victoire orgueilleuse remportée sur un élément adverse. […] C’est l’orgueil qui donne à l’élan vital ses trajets rectilignes, c’est-à-dire son succès absolu. C’est le sen­timent de la victoire certaine qui donne au réflexe sa flèche, la joie souveraine, la joie mâle de perforer la réalité. Le réflexe victorieux et vivant dépasse systématiquement sa portée anté­cédente. Il va plus loin. S’il n’allait qu’aussi loin qu’une action antécédente, il serait déjà machinal, il serait déjà animalisé. Les réflexes de défense qui portent vraiment le signe humain, les réflexes que l’homme prépare, fourbit, tient en alerte sont des actes qui défendent en attaquant. Ils sont constamment dynamisés par un vouloir-attaquer. Ils sont une réponse à une insulte et non pas une réponse à une sensation. Et qu’on ne s’y trompe pas: l’adversaire qui insulte n’est pas nécessairement un homme.

[…] La mer n’est pas un corps qu’on voit, pas même un corps qu’on étreint. C’est un milieu dynamique qui répond à la dy­namique de nos offenses. Quand même des images visuelles surgiraient de l’imagination et donneraient une forme «aux membres de l’adversaire», il faudrait bien reconnaître que ces images visuelles viennent en deuxième lieu, en sous-ordre, par la nécessité d’exprimer au lecteur une image essentiellement dynamique qui, elle, est première et directe, qui relève donc de l’imagination dynamique, de l’imagination d’un mouvement courageux. Cette image dynamique fondamentale est donc une sorte de lutte en soi. C’est par ses rêves que la volonté de puissance est la plus offensive. Dès lors, celui qui veut être un surhomme retrouve tout naturellement les mêmes rêves que l’enfant qui voudrait être un homme. Commander à la mer est un rêve surhumain. C’est à la fois une volonté de génie et une volonté d’enfant. Plus que quiconque, le nageur peut dire: le monde est ma volonté, le monde est ma provocation. C’est moi qui agite la mer. » p.182

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Élisée Reclus

Elisée Reclus

(1830-1905)

Géographe, Anarchiste

 

Histoire d’un Ruisseau

Actes Sud, Paris, 1995.

«Le ruisseau n’est pas seulement pour nous l’ornement le plus gracieux du paysage et le lieu charmant de nos jouissances, c’est aussi pour la vie matérielle de l’homme un réservoir d’alimentation, et son eau féconde nourrit des plantes et des poissons qui servent à notre subsistance. L’incessante bataille de la vie qui nous a fait les ennemis de l’animal des prairies et de l’oiseau du ciel excite aussi nos instincts contre les populations du ruisseau. En voyant la truite glisser dans le flot rapide comme un rayon de lumière, la plupart d’entre nous ne se contentent pas d’admirer la forme élancée de son corps et la merveilleuse prestesse de ses mouvements, ils regrettent aussi de ne pas avoir saisi l’animal dans son élan et de n’avoir pas la chance de le faire griller pour leur repas.


Mais les ruisseaux et les fleuves étaient jadis bien autrement riches en poissons qu’ils ne le sont de nos jours. Après avoir capturé dans l’eau courante toutes les proies nécessaires au repas de la famille, le sauvage satisfait laissait les milliers ou les millions d’oeufs déposés sur le sable ou dans les joncs se développer en paix. Grâce à l’immense fécondité des espèces animales, les eaux étaient toujours peuplées, toujours exubérantes de vie. Mais l’homme, que les progrès de la civilisation ont rendu plus ingénieux, a trouvé moyen de détruire ces races prolifiques dont chaque femelle pourrait, en quelques générations, emplir toutes les eaux d’une masse de chair solide. Dans son imprévoyance vide, il a même exterminé en entier nombre d’espèces qui vivaient jadis dans les ruisseaux. Non seulement il s’est servi de filets qui barrent la masse d’eau et en emprisonnent toute la population, il a eu aussi recours au poison pour détruire d’un coup des multitudes et faire une dernière capture plus abondante que les autres. Toutefois, les vrais pêcheurs, ceux qui tiennent à honneur de s’appeler ainsi, réprouvent ces moyens honteux de destruction en masse qui ne demandent ni sagacité, ni connaissance des moeurs du gibier. D’ailleurs, par un contraste qui semble étrange au premier abord, le pêcheur aime toutes ces pauvres bêtes dont il s’est fait le persécuteur, il en étudie les habitudes et le genre de vie avec une sorte d’enthousiasme, il cherche à leur découvrir des vertus et de l’intelligence; comme le chasseur qui parle des hauts faits du renard ou du sanglier, il s’exalte à raconter les finesses de la carpe et les ruses de la truite; il les respecte presque – comme des adversaires, il ne veut les combattre que de franc jeu et s’irrite que des braconniers indignes travaillent à en détruire la race. » p.141

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Laurence Stephen Lowry

Laurence Stephen Lowry

(1887-1976)

Peintre

 

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Lewis Carroll

Lewis Carroll

(1832-1898)

Romancier

 

Carte du capitaine Bellman dans La chasse au Snark (1876)

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Walter Benjamin

Walter Benjamin

(1892-1940)

Philosophe

 

Sur le Concept d’Histoire

Oeuvres III, Paris, Galimard, 2000.

« Il existe un tableau de Klee qui s’intitule Angelus Novus. Il représente un ange qui semble sur le point de s’éloigner de quelque chose qu’il fixe du regard. Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes déployées. C’est à cela que doit ressembler l’Ange de l’Histoire. Son visage est tourné vers le passé. Là où nous apparaît une chaîne d’événements, il ne voit, lui, qu’une seule et unique catastrophe, qui sans cesse amoncelle ruines sur ruines et les précipite à ses pieds. Il voudrait bien s’attarder, réveiller les morts et rassembler ce qui a été démembré. Mais du paradis souffle une tempête qui s’est prise dans ses ailes, si violemment que l’ange ne peut plus les refermer. Cette tempête le pousse irrésistiblement vers l’avenir auquel il tourne le dos, tandis que le monceau de ruines devant lui s’élève jusqu’au ciel. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès » p.434

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Alexis de Tocqueville

Alexis de Tocqueville

(1805-1859)

Philosophe, Sociologue

 

 Voyages en Angleterre, Irlande, Suisse et Algérie

Gallimard, Paris, 1958.

« Levez la tête, et tout autour de cette place, vous verrez s’élever les immenses palais de l’industrie. Vous entendrez le bruit des fourneaux, les sifflements de la vapeur. Ces vastes demeures empêchent l’air et la lumière de pénétrer dans les demeures humaines qu’elles dominent, elles les enveloppent d’un perpétuel brouillard ; ici est l’esclave, là le maître. Là, les richesses de quelques-uns ; ici, la misère du plus grand nombre ; là, les forces organisées d’une multitude produisent, au profit d’un seul, ce que la société n’avait pas encore su donner. […] Une épaisse et noire fumée couvre la cité. Le soleil paraît au travers comme un disque sans rayons. C’est au milieu de ce jour incomplet que s’agitent sans cesse 300 000 créatures humaines. C’est au milieu de ce cloaque infect que le plus grand fleuve de l’industrie humaine prend sa source et va féconder l’univers. De cet égout immonde, l’or pur s’écoule. C’est là que l’esprit humain se perfectionne et s’abrutit ; que la civilisation produit ses merveilles et que l’homme civilisé redevient presque sauvage » p.78-82

 

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3. Terre en vue

Aborder l'architecture

Aux démonstrations rhétoriques de nos cartographies conceptuelles demeurait à saisir l’incarnation spatiale de pareil phénomène dans une dimension propre à l’architecture. C’est sans surprise du côté de nos semblables expropriés que nous est naturellement venu l’objet de notre recherche : les bateaux.  Construction humaine destinée à flotter sur l’eau et à s’y déplacer, le bateau est généralement associé à l’imaginaire d’un moyen de transport malgré son inscription juridique dans la classe des « bâtiments » (on habite d’ailleurs souvent autant sur un bateau que l’on s’y déplace). Appareil clé du développement économique de l’Angleterre, il offre au travers de ses seules déclinaisons, le portait édifiant de l’histoire du Royaume-Uni et de ses traditions domestiques. De la cale sordide des navires négriers au XVIIIème siècle aux appartements somptueux du tragique RMS Titanic, aucun objet n’aura tant concentré le sentiment d’accomplissement du progrès technique britannique en même temps que de sa ruine.  Une ambivalence encore clairement lisible dans l’échantillonnage des vaisseaux que nous avons mené sur le territoire du bassin versant de la Mersey, et dont les sauts d’échelle ne sont que la juste traduction des disparités qui composent le paysage présent et passé du nord-ouest de l’Angleterre. Des vestiges des anciens canaux de Manchester devenus le refuge d’une misère sociale à l’ouverture béante de l’estuaire de Liverpool sur les villes-mondes des bateaux de croisière, l’eau et ses édifices dédiés sont devenus l’espace d’une pluralité de mondes coexistant sur un temps commun. 

Au projet d’architecture, nous n’ambitionnons ni la démonstration d’une ruine ni l’expression d’un vaisseau rédempteur. Parce qu’un paradoxe ne vise à offrir aucune solution unique mais bien plutôt à former des pistes de réflexion, nous soutenons l’idée que c’est dans l’exercice simultané de tous ces mondes que se fabrique aujourd’hui la richesse des métiers de l’architecture. Véritable médiateur des fantasmes du progrès technique autant que première responsable de ses abus, c’est aux compétences non contradictoires de rêveur déluré et d’acteur du réel que doit se fabriquer aujourd’hui le plus frugal des abris comme le plus ambitieux des monuments. En ne cédant ni à l’espoir d’une arche dans le miracle de la technologie face à la crise environnementale ni aux radeaux effondristes annonciateurs d’une fin du monde en chemin, nous naviguons à vue dans l’excitation et la crainte que se devrait de cultiver tout architecte des territoires flottants.

Pour que cette ambition ne demeure pas celle du monde abstrait de la mer et des étoiles, notre projet d’architecture se fonde ici en une constellation d’édifices faisant le lien entre notre univers conceptuel de la Mersey et les rivages bien réels du Greater Manchester et du Merseyside. À chacune des escales ainsi opérées sur la matrice hydrique du nord-ouest de l’Angleterre nous est apparu la concordance d’un ou plusieurs de nos vaisseaux avec un site que l’architecture serait à même de traduire. Des disparités, qui ont motivé notre étude de l’architecture navale anglaise, se reflètent dans nos projets, par la volonté d’adopter pour chacune de ces situations, une échelle, une posture au sol et des outils à la hauteur des différences qui composent déjà la mosaïque de notre flotte. En tirant les ficelles d’un avenir probable de ces quatre situations liquides du territoire anglais et en questionnant les fondations d’une idéologie fondée sur la notion de propriété du sol, nous entendons trouver sur les rivages de l’Angleterre l’espace flottant où se dévoilent aujourd’hui les conditions nouvelles de la pratique du métier d’architecte. Un monde sans téléologie où les fantasmes d’une île artificielle au large des docks de Liverpool n’expriment pas moins le grandiose ou la ruine que la réhabilitation fragile d’un petit port de pêche dans le cimetière à bateaux du village d’Heswall. Grandeur et décadence d’un territoire de l’eau.

MANCHESTER

Etihad Campus Marina
53°29’13.3”N 2°12’29.5”W

Situation grand territoire

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Référence littéraire

Fig. 04 – Voyage d’étude / Musée imaginaire

Manchester par la mer

C’est à la source du « plus grand fleuve de l’industrie humaine » que notre premier navire nous conduit : Manchester. L’ancienne ville manufacturière de coton et troisième port du Royaume-Unis au XXeme siècle possède en son cœur un système de canaux construit en simultané du développement urbain de la ville. Mais paradoxale illustration de la puissance économique et historique d’un pays, les canaux de Manchester sont aujourd’hui devenus les bas-fonds d’une misère qui se développe en contraste des gratte-ciels de la ville du dessus. Une strate inférieure ou stagne quelques bassins d’eau croupis et ou seul ronronne les quelques remous électrice de la municipalité. Seuls habitants de ces espaces : les quelques clochards venus trouver refuge à l’ombre des foules. Malgré des tentatives de transformer ces eaux calmes de la métropole en parcourt de plaisance pour les citadins, les limites foncières plombant les propriétés sur les rives des canaux ne laissent que peu d’espoir au développement piéton de ces infrastructures.

Le projet s’ambitionne ici comme un agitateur urbain, une ponctuation de projet destinée à remettre en fonction le réseau hydraulique de l’ancienne ville industrielle au moyen de ses premiers acteurs : les bateaux. Pour cela, nous avons identifié et développer sur les marges du système hydrique de Manchester une offre d’amarrage capable de relancer la circulation d’un flux dans la ville en s’appuyant notamment sur les infrastructures existantes du réseau comme les quais vacants de Pomona ou le gazomètre d’Ethiad. 

À une centaine de mètres du « theater of dream »  du football anglais, le gazomètre d’Ethiad peut se rêver ici comme une des marinas les plus tendances de tout le pays, offrant aux vacanciers comme aux riverains du nouveau quartier de Bradford les réjouissances d’une troisième mi-temps sur les berges de l’ancien canal industriel d’Ashton. Relativement simple dans ses interventions, le projet se résume pour l’ensemble à la déconstruction de la cloche télescopique recouvrant la profonde cuve de l’ancien réservoir d’Ethiad et à l’édification d’une écluse permettant de gravir les quelques mètres qui séparent le gazomètre des berges. Liant en amont l’Ashton canal dans une logique de vase communiquant par la construction d’un nouveau bief, la marina de Bradford et sa double écluse économise près de 60% de l’eau qu’elle emploie. Quelques programmes mineurs liés à l’activité d’un tel équipement et à l’articulation de cet objet avec son environnement sont également à dénoter. Une cale sèche, un espace de restauration, de vidange et de toilette à proximité du cylindre d’acier, mais également l’aménagement d’espace paysager et d’infrastructure de franchissement à proximité du parc en ruine de la rivière Medlock. 

Fig. 05 – Figuration projet S9

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Fig. 06 – Insertion urbaine

Fig. 07 – Photographies chronologiques du gazomètre de Bradford

Fig. 08 – Déroulement chronologique

INTERVENTIONS BÂTIES

Gazomètre & Espaces publics

Fig. 09 – Maquette 1/200

Fig. 10 – Plan Masse

Fig. 11 – Élévation longitudinale

PASSERELLE

Détails techniques

ÉCLUSE

Détails techniques​

QUAIS

Détails techniques​

WIGAN

Narrowboat Factory
53°32’30.8”N 2°38’29.3”W

Situation grand territoire

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Référence littéraire

Le Quai de Wigan

Wigan est une ancienne ville minière située à équidistance de Liverpool et Manchester. Sa position et ses ressources stratégiques l’ont rapidement transformé en plaque tournante du réseau de marchandise par canaux au début du XIXeme siècle entre Leeds et les deux villes phares de la région. En 1937, Wigan sert de décors à la diatribe d’un certain Georges Orwell alors en poste à la BBC venu visité les conditions de travail du milieu ouvrier anglais du milieu du XXème siècle. Cet ouvrage nommé Le Quai de Wigan demeure encore aujourd’hui l’unique vecteur de tourisme de cette ville érigée en martyr de l’époque industriel. Mais à notre grande surprise point de quai pour nos bateaux dans le récit de Georges Orwell. À la question « Ou est ce quai ? » dans une interview à la BBC en 1943, l’auteur répondait à ce sujet qu’ «au risque de vous décevoir, le quai de Wigan n’existe pas. Il y a eu, à une époque, sur l’un des petits canaux bourbeux qui enserrent la ville, un appontement de bois perpétuellement branlant et c’est ainsi que se perpétue depuis la légende du « quai de Wigan », démoli depuis longtemps

Reconstruire le quai de Wigan, voilà peut-être le dernier baroud d’honneur dont peut rêver la ville après sa victoire de la coupe d’Angleterre face à Manchester City en 2013. Profitant des dynamiques de régénération des berges du centre ville, le projet du Quai de Wigan s’envisage ici comme un chantier naval mettant en relation le passé chargé de ce bassin industriel avec son savoir-faire sidérurgique pour édifier des bateaux typiques de la région : les Narrowboat.

Installé à proximité de l’ancien terminal du Leeds Canal sur les vestiges de deux anciens édifices vacants, le chantier naval de Wigan profite ici d’une situation privilégiée de ses équipements a proximité de plusieurs aciéries d’envergure ainsi que d’un accès direct aux voies navigables pour y manutentionner ses pièces. Le projet, positionné au cœur d’un nouveau plan de réaménagement des berges et de restauration du patrimoine bâti du centre-ville, articule dans son parcoure un maillage d’espace public destiné a faire vivre le patrimoine vivant de la construction des navires au moyen de son exposition publique.

Fig. 12 – Photographies chronologiques de Wigan Pier

Fig. 13 – Voyage d’étude / Musée imaginaire

03 - Bâtis03 - Bâtis

Fig. 14 – Plan masse

Fig. 15 – Axonométries Scénarisées

SOMMAIRE
PLAN RDC - Bâtiment 1
PLAN RDC - Bâtiment 2
PLAN R+1 - Bâtiment 1
PLAN R+1 - Bâtiment 2

Fig. 16 – Plan d’usages

SOMMAIRE
COUPE TRANSVERSALE - AA'
COUPE LONGITUDINALE - BB'
COUPE DÉTAIL

Fig. 17 – Coupes & Élévation

Fig. 18 – Maquette 1/200

LIVERPOOL

LiverPeel
53°23’55.4”N 3°00’03.2”W

Situation grand territoire

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Référence littéraire

Fig. 19 – Références

Fig. 20 – Musée imaginaire

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Fig. 21 – Scénario du projet

Ce film met en récit le processus de fabrication d’une île artificielle fictive à l’embouchure de l’estuaire du Mersey par un groupe d’investissement majeur du nord-ouest de l’Angleterre. Mais plus que l’expression délurée d’une entité isolée du territoire, ce micro reportage entend trouver dans les fondations historiques de la relation de l’Angleterre avec la mer le terreau fertile à l’exécution d’un tel ouvrage. Ouvertement inspirée des villes flottantes du tourisme de croisière qui inondent déjà les quais de la ville de Liverpool, cette vidéo n’est que le fixateur d’une mégalomanie ambiante dont l’immobilité des cartes nous privent trop souvent d’une observation. Les montages de ce film ont été réalisés dans la combinaison de plusieurs dizaines de vidéos et documentaires récupérés sur internet ainsi qu’au moyen de plusieurs logiciels de modélisation 3D. L’ensemble de ces références sont disponibles ici. 

Fig. 22 – Coupe

Fig. 23 – Maquettes scénarisées

HESWALL

Netshop Revival
53°19’28.8”N 3°07’23.2”W

Situation grand territoire

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Référence littéraire

Dee End

À l’écart des tours de Liverpool et du littoral chic de New Brighton, l’eau quitte patiemment le sable dans les estrans sauvages de l’estuaire de Dee. Véritable refuge d’une grande variété d’oiseau migrateur et d’un abondant bassin de ressource aquatique, le Dee Estuary doit aujourd’hui faire face à la menace grandissante de l’étalement urbain qui presse ses côtes. Seul rempart contre l’envahisseur, le cadre associatif de quelques pêcheurs adjoint aux plaisanciers et amateurs de coque inquiets pour la pérennité de leurs activités. Au large du village d’Heswall commencent déjà à poindre les carcasses d’un cimetière de bateaux.

 

Dans ce territoire ou «la civilisation produit ses merveilles et ou l’homme civilisé redevient presque sauvage» laissons revenir la rudesse du vent marin, du sel et du clapot dans les rivages de Dee. Plus limité dans ses ressources financières que nos trois précédentes situations, ce projet s’appuie sur les dynamiques associatives et bénévoles de cette région pour penser l’architecture de manière conjointe. Se dégage de ces échanges l’édification d’un programme hybride d’espace communale (salle des fêtes / médiation touristique) et d’un petit port de pêche. Empruntant volontiers aux registres de  l’architecture vernaculaire comme aux nouveaux matériaux de la construction standardisés, les différentes installations de ce projet doivent trouver leurs fondations dans le terreau fragile du sable fin et de l’intelligence collective.

Fig. 24 – Photographies d’arpentage

Fig. 25 – Voyage d’étude / Musée imaginaire

GDTE_HESWALL_Insertion - AvantGDTE_HESWALL_Insertion - Après

Fig. 26 – Dessiccation des troncs  Insertion paysagère

Fig. 27 – Plan Masse

Fig. 28 – Plans d’étages 

Fig. 29 – Élévation longitudinale

Fig. 30 – Élévation transversale

Fig. 31 – Coupe détail

Fig. 32 – Détails d’assemblages

Fig. 33 – Maquette 1/100