Laora Congestri et Valentin Chaput – Soliman Nessa et Florie Pineau

FUIR OU RESTER,

HABITER LE MONDE POST-COVID

Karlsruhe et la vallée de Pfinz, supports de nouvelles manières d'habiter

Crise sanitaire et enjeux contemporains

 
Dans le courant du mois de Mars 2020, la majorité de la population mondiale a subi une crise sanitaire inédite plongeant chaque individu dans un confinement inattendu. Cette pandémie a contraint chacun à des mesures de protection, mais aussi à des méthodes de travail nouvelles.
 
L’Homme s’est alors retrouvé enfermé chez lui. Ne pouvant sortir, selon la législation en vigueur du pays, qu’en ayant rempli une autorisation. Dans cette situation, les supports technologiques ont permis d’entretenir nos relations, de poursuivre notre travail et de sauvegarder notre économie. Cette crise a redéfini en un temps record nos relations sociales, mais aussi nos rapports aux espaces et nos mouvements.
 
À l’échelle de nos vies, cette crise est apparue pour certains comme une attente trop longue, un étouffement, une solitude, mais aussi une nouvelle façon d’aborder le travail, et même une source de créativité. Pour d’autres, elle constitue désormais une véritable opportunité de ne pas répéter les erreurs du « monde d’avant ». Un espace-temps en marge, dont il faut extraire les enseignements.


 
C’est dans ce contexte que le Pavillon de l’Arsenal préparait sa future exposition « Et demain, on fait quoi? 1 ». Une exposition composée de textes et d’images d’architectes, urbanistes, ingénieurs, designers, paysagistes, étudiants, professionnels de l’immobilier et acteurs de la fabrication de la ville et pour lesquels la crise doit être perçue comme un pli à prendre, un sursaut, une alerte.
 
L’exposition montre que la crise du coronavirus a eu pour effet d’accélérer des mutations dans de nombreux domaines, mais aussi de révéler des failles. Ainsi « les modes de vie urbains, les conditions de fabrications de la ville, tout comme leurs usages, et les façons d’habiter sont brutalement devenus, pour beaucoup obsolètes.2 »
 
Les articles, projets, images, dessins, tribunes… publiés font surgir plusieurs thèmes.  La notion de résilience3 par exemple apparaît comme un sujet majeur dans le futur de nos constructions. Daniel Kaufman4 parle de résilience de nos territoires, Paul Landauer 5 lui met en évidence combien les espaces de stockage déterminent notre capacité à faire preuve de résilience.  
 
Benjamin Cimerman lui, dans son article intitulé « Vers une capacité de transformation collective augmentée » milite pour une ère de l’expérimentation : « Nous vivons dans un monde où le doute, le questionnement et l’incertitude ne sont pas regardés comme des valeurs positives. Un monde hérité de la révolution industrielle, celui de la marche en avant du progrès. Nous gagnerions beaucoup à sortir de cette logique pour entrer dans l’ère de l’expérimentation, qui est intrinsèque à l’architecture ». Dans une autre tribune, « Violence du Rebond », Matthieu Poitevin aborde lui aussi le besoin d’expérimenter les modes de l’habiter : « Il nous faut proposer de nouvelles formes de vie collective qui inventent les lieux d’une vie possible pour ne pas étouffer. ». 
 
La question de la participation citoyenne aussi est abordée.  Francis Landron met notamment en avant qu’il nous faut repenser le monde d’après en intégrant davantage le citoyen, quitte même à ce que ce dernier prenne davantage de place dans la gestion de sa collectivité.  
 
Enfin, comme le souligne le collectif Arte Charpentier Architecte, la crise a rendu les petites villes désirables par leur échelle mesurée et leur lien direct avec la nature. Elles semblent faire l’objet de convoitises d’urbains en mal de campagne. L’attrait d’habiter dans une maison semble également peser dans la balance. Mais comment concilier cette envie sans accentuer l’étalement urbain ? 

1 – L’exposition d’abord virtuelle durant le confinement s’est depuis réalisée. On pouvait y consulter les articles sélectionnés par le Pavillon sur la crise. https://www.pavillon-arsenal.com/fr/et-demain-on-fait-quoi/

2 – Ibid

3 – Ce terme est actuellement en vogue dans les domaines de l’aménagement. Popularisé par la psychologie mais appliqué dans de multitude de domaines, le terme désigne la capacité d’un système à surmonter une altération de son environnement. En l’espèce il renvoie à l’identification de risques écologiques, économiques ou sociaux que le territoire est censé prévenir et en définitive résoudre ou dépasser. https://www.sciencespo.fr/

4 – Kaufman D., 2020, « Demain au-trement ? », Et demain on fait quoi ?, https://www.pavillon-arsenal.com/fr/et-demain-on-fait-quoi/11567-demain-autrement.html

5 – Landauer P., 2020, « Le grenier et la tombe », Et demain on fait quoi ?, https://www.pavillon-arsenal.com/fr/et-demain-on-fait-quoi/11595-le-gre-nier-et-la-tombe.html

Le Post-covid : scénario de projection. 

 
Au regard des enjeux contemporains que la crise sanitaire a révélé, il nous paraissait intéressant d’anticiper l’évolution d’une aire métropolitaine comme celle de Karlsruhe dans un scénario de crises à répétition. Pour ce faire, nous avons acté une projection à l’horizon de 2050 dans laquelle les crises sanitaires à répétition ont profondément changé les choix et les lieux de vie des habitants. 
 
Dans ce cadre, la question des mobilités – et de l’immobilité – est primordiale et participe à une redéfinition de l’occupation du territoire.  
 
Tout comme durant la crise actuelle, on observe dans notre scénario un phénomène migratoire des populations des villes vers les zones péri-urbaines ou rural. Deux situations se dessinent, l’une située dans l’hyper-centre de la ville, faisant le constat d’une dé-densification et l’autre située en zone périurbaine faisant le constat d’une densification. 

Portrait d’une métropole diffuse  

 
Afin de se donner un support à ces expérimentations, c’est donc vers la ville de Karlsruhe que l’on se tourne. Une fois placée dans ce scénario de crises à répétitions et de fuites, s’intéresser à cette ville allemande nous apparaît comme l’occasion de revoir l’organisation du territoire en fonction de ses caractéristiques. 
 
 
Hors temps de crise, la ville de Karlsruhe est une métropole frontalière composée de 310.000 habitants. En terme démographique, la ville projette une augmentation de 30.000 habitants d’ici 2030.  En réponse à cette densification prévue, Karlsruhe souhaite contenir l’expansion et l’étalement urbain en définissant des aujourd’hui une limite claire à l’emprise de la ville. On imagine alors aisément que la densification prévue sera verticale. Néanmoins, cette évolution démographique de la ville dépend en majeure partie de la politique migratoire allemande. Provenant de pays tels que la Turquie, l’Italie ou encore la Roumanie, on peut supposer que ces migrations cesseront avec le scénario mis en place. 
 
De par sa situation géographique, la ville de Karlsruhe est une métropole frontalière qui, aujourd’hui déjà, est sujette à des mouvements pendulaires très forts et des mouvements de populations caractéristiques du territoire transfrontalier. La ville de Karlsruhe se situe sur un vaste réseau ferroviaire et autoroutier la plaçant au point de rencontre de plusieurs pays européens avec le reste de l’Allemagne. Elle est également tout autant connectée à son territoire proche avec son système de transport très développé sous la forme d’un Tram-train desservant toute la région depuis l’hypercentre. Karlsruhe apparaît alors comme une métropole ultra connectée tant internationalement que localement. 
 
 
 
De par sa connexion à son territoire proche, l’emprise de la ville peut être revue en fonction du Tram-train. On l’a vu, la ville veut limiter son expansion et on observe déjà une densification périurbaine plus ou moins contrôlée le long de ce réseau. Comparable à l’exode projeté, la population de la métropole correspond plus à la somme de ces petites et moyennes villes qui jalonnent le dessin du réseau de Tram-train et propose une connexion forte avec l’hypercentre. Un endroit où s’observe cet exode et cette extension annexe de Karlsruhe correspond aux différentes vallées dans lesquelles s’enfonce le Tram-train. C’est notamment dans la vallée de l’Alb ou celle de la Pfinz que l’on trouve des petites et moyennes villes qui se sont développée en fond de vallée, proche d’arrêt de Tram-train. Ces différents regroupements de population sont aujourd’hui comparables à des extensions directes de Karlsruhe à la manière de quartiers toujours très connectés. 
 
 
 
Ainsi, Karlsruhe apparaît comme une métropole diffuse. En y appliquant notre scénario, à l’échelle internationale, on peut aisément imaginer que cette image pourrait être fortement remise en question. Quant à l’échelle locale, cette image pourrait être seulement altérée.  
 
De ce fait, on pourrait imaginer de renverser la tendance démographique que projette la ville et aller vers une dédensification forte au niveau de l’hypercentre sous la forme d’une fuite de la densité redessinant la ville de demain. Du côté du périurbain, la fuite de la ville, guidée par le Tram-train, trouverait une finalité sous la forme d’une densification d’un nouveau genre, soucieuse des nouveaux questionnements relatifs au scénario. 

Dédensification et densification : deux situations complémentaires 

 
Avec ces fuites que l’on projette sur Karlsruhe et son territoire proche, deux modifications s’observent : la dédensification et la densification. Ces deux modifications deviennent sources de pleins et de vides. Des jeux de soustractions et d’additions apparaissent alors sur deux situations auparavant opposées, mais ici devenues complémentaires : l’hypercentre et le périurbain.  
 
Le scénario ainsi que le caractère singulier de Karlsruhe que l’on décrivait plus tôt (Cf. Ville diffuse et mobilités accrues) dessinent la complémentarité de la ville et du périurbain dans la vision du territoire de demain. 
 
Cet équilibre du territoire en termes de densité de population, qui apparaît comme plus que spéculatif, s’observe pourtant déjà avec la crise actuelle. Depuis début 2020, on peut citer la carte française des présences humaines lors des différents confinements où, les points chauds de densité ont laissé place à une densité diffuse répartie sur le territoire. 
 
 
Afin de se donner un cadre et une approche systématique entre l’hypercentre synonyme de dédensification et le périurbain synonyme de densification, c’est ici que l’on porte notre choix sur deux situations : 
 
 
 
 
 
Pour la première situation située logiquement en périurbain, on part ici du fait que ces mouvements de population ayant pour départ l’hypercentre suivront le dessin du Tram-train comme cela se fait déjà. Leur fin est projetée dans les petites et moyennes villes accrochées au réseau ferroviaire. Dans le scénario, les personnes qui quitteront la ville voudront néanmoins garder une accroche à l’hypercentre et c’est ici que l’on repense aux vallées qui sont aujourd’hui déjà perçues comme des quartiers de Karlsruhe. Notre choix se porte sur la vallée de Pfinz, située à l’est, et plus particulièrement la ville de Remchingen. Petite ville située en cœur de vallée et actuellement en pleine expansion démographique, Remchingen pourrait être un des points de chute des fuites et surtout un endroit test pour penser une nouvelle façon de densifier le périurbain au regard des attentes de « ceux qui fuient ». 
 
Pour la deuxième situation, qui dit exode urbain et dédensification dit mouvement de population. Afin d’observer facilement un avant-après, la situation dans l’hypercentre se trouve dans le quartier le plus ancien et surtout le plus dense située au sud-est : Südstat. L’état projeté sera celui d’un quartier ayant perdu une majeure partie de sa population et devant faire face à l’enchaînement des crises sanitaires. Pour ne pas se perdre, l’idée est de concentrer l’expérimentation et l’anticipation de ce que pourrait être la ville de demain autour d’un îlot test accueillant différentes interventions répondant aux besoins futurs des habitants que l’on appellera « ceux qui restent ».