Le paysage énergétique de la Mersey : La décentralisation, un vecteur de reconquête des berges
Thomas CHABERT - Renaud MANZI - Rémi MORISSET - Marie ROUX-BLONDELET
Le paysage de l'estuaire de la Mersey
L’estuaire de la Mersey est caractérisé par un paysage énergétique démesuré qui nous a rapidement interpellé en tant que futurs architectes. Ici les fonctions productives dessinent des formes fantasmagoriques (hyperboliques) pour un œil qui les découvre.
Effectivement, le XXe siècle occidental a conjugué l’énergie sur le mode de la centralisation, de l’expansion et de la connexion, vouant à sa puissance le culte de la grandeur. L’immense toile de conduits, de fils, de câbles, les gigantesques raffineries et centrales thermiques, ont définitivement transformé le paysage et bouleversé les processus d’urbanisation.
Sur le territoire qui nous intéresse, les logiques industrielles développées grâce à la construction du Manchester Ship Canal (MSC) en 1894 ont rapidement confisqué et privatisé les berges de l’estuaire, poussant le développement des villes vers les terres. Aujourd’hui le territoire énergétique et industriel forment un continuum productif ne laissant plus place aux pratiques publiques en lien avec le territoire.
La centralisation de la production d'énergie
Le groupe Peel, ayant racheté le canal en 1991 détient aujourd’hui la majorité des propriétés foncières en lien avec ce dernier. Leur puissance économique leur permettent d’avoir la mainmise sur les dynamiques de développement de ce territoire.
Aujourd’hui la centralisation s’exprime à travers de grandes entités qui s’inscrivent dans un continuum industriel.
Cependant, les modes de productions en place sont soumis à une obsolescence plus ou moins proche due, en partie, aux ressources fossiles qu’ils exploitent et au contexte politique. D’après un rapport de l’OMC 4 des 7 raffineries du Royaume-Uni fermeraient d’ici à 2030. La centrale à charbon de Widnes fermera quant à elle en mars prochain.
De plus, la multiplication des appels en faveur de la transition énergétique questionne la durabilité du modèle existant. Les grands réseaux de services ont été construits pour la consommation de masse et la croissance mais de nouveaux modèles alternatifs font surface.
Dans ce contexte de transition, l’Angleterre, comme beaucoup d’autres pays, renouvelle son parc énergétique en misant sur les énergies renouvelables, notamment sur l’éolien offshore.
Or nous nous rendons compte en étudiant le développement des équipements énergétiques renouvelables, qu’ils appartiennent toujours à des logiques industrielles mondialisées et que leur caractère vertueux masque une tout autre réalité.
Une vision prospective de la production énergétique
Les ressources éoliennes et solaires sont disponibles partout dans le monde, elles semblent donc synonymes de paix et de production locale accessible à tous. Cependant la production de tels équipements relève toujours de logiques mondialisées. Les enjeux liés à l’exploitation des ressources impliquées dans leur production restent une source de conflit. En effet, les infrastructures nécessitent un système d’exploitation de ressources rares à l’étranger qui ne s’inscrit pas dans un modèle durable.
Les énergies renouvelables présentent souvent les mêmes caractéristiques de centralisation institutionnelle et physique que le nucléaire et les énergies fossiles. Elles impliquent la construction d’un nouveau maillage infrastructurel de transport d’énergies (lignes Haute Tension et Hydrogène).
La production d’énergie renouvelable à grande échelle est aussi extrêmement consommatrice de foncier et perturbe souvent l’environnement dans lequel elle s’implante.
Enfin, la faible durée de vie des équipements, entre 25 et 30 ans est synonyme d’une forte production de déchets dont une grande partie, comme les pales d’éoliennes, ne sont pas recyclées. Bien que le renouvelable témoigne d’une première évolution comparée aux énergies fossiles, il reste toutefois un modèle à requestionner.
Prospection sur l'expansion des énergies renouvelables sur le territoire : un nouveau modèle spatiovore et centralisé
Stratégie territoriale
Ce constat inquiétant a été une invitation à l’introspection d’une transition énergétique par l’avènement d’une société post-carbone et nous a ouvert à la réflexion sur de potentielles évolutions du territoire Liverpuldien (estuarien). A partir de ce constat alarmant, nous proposons une stratégie initiant la transition vers une société post-carbone, en prenant appui sur la transformation du territoire de la Mersey.
Nous identifions en particulier la centralisation de la production d’énergie, fossile comme renouvelable, comme étant un obstacle à une consommation maîtrisée et raisonnée. Effectivement, les logiques de centralisation de l’énergie nous ont éloigné des lieux associés à sa production. Cela a fait disparaître pour la plus grande partie d’entre nous le paysage énergétique autrefois réparti de façon autarcique et disséminée sur le territoire , au détriment d’un urbanisme de réseaux parfois imperceptible. Cette mise à distance des lieux de production ne permet pas aux consommateurs de prendre conscience et leur consommation énergétique, dans un territoire où l’énergie est impalpable. Nous vivons sur un territoire où notre consommation énergétique n’a pas d’impact direct sur notre environnement.
Toujours étant, l’annonce d’une catastrophe climatique nous a donné depuis plus d’une décennie, quelques signes tangibles du retour à la petite échelle.
Dans l’objectif de rendre palpable la consommation d’énergie, notre stratégie prend le contre-pied de cette centralisation et profite du contexte de transition pour réinventer les logiques en place.
La décentralisation de la production d’énergie est une manière de partager le paysage énergétique. En fragmentant les infrastructures il devient plus simple de la diversifier, de la répartir et de l’hybrider.
Ce partage s’établit donc ici sous trois formes :
1) Le partage de la production énergétique
C’est-à-dire une production diversifiée qui, bien qu’elle soit générique, puisse s’adapter au mieux à son contexte. Elle permet aussi de répartir la charge d’exploitation de ressources visant à la production des infrastructures énergétiques.
2) Le partage du paysage énergétique
C’est-à-dire la répartition des infrastructures énergétiques de plus petites échelles (jusqu’à l’échelle domestique) sur le territoire. Elle permet à tous les habitants de prendre conscience et mesurer leur consommation énergétique, ainsi que son impact sur l’environnement proche. Le but est de rendre la production d’énergie palpable et identifiable à l’échelle collective et individuelle. Le retour de l’individu est marqué par un grand désir de participation et d’intervention. La petite échelle va s’envisager comme le lieu privilégié de l’expression de la démocratie. Ces nouveaux pôles énergétiques composent des micro-réseaux, partiellement connectées aux grands.
3) Le partage des emprises
La centralisation, par l’échelle de sa production, a confisqué de grandes emprises foncières afin d’organiser ses logiques internes. Dans le contexte anglais, et plus précisément dans le contexte de l’estuaire dans notre cas, cette confiscation s’est faite aux mains d’acteurs privés comme PEEL. La décentralisation permet de retrouver une échelle qui rend la production d’énergie superposable à d’autres fonctions urbaines. Cela permet de limiter l’expansion de la ville sur les terres arables et la création de poches hermétiques. Dans une hybridité revendiquée, architecture et infrastructure reconstituent un paysage urbain post-carbone. La ville devient alors ville productive où la mixité fonctionnelle produit des interactions bénéfiques aux programmes. Ce partage repose la question de l’accès aux berges du canal et de l’estuaire. Nous souhaitons établir un DEAL avec Peel, propriétaire de la majorité du foncier en lien avec le canal. L’objectif est de penser les interactions entre programme productif/énergétique et collectif, entre privé et public, entre rentabilité économique et intérêt commun. Aux enclaves énergétiques monofonctionnelles se substituent des polarités énergétiques polyfonctionnelles.
Des sites supports à la reconquête publique
Eastham
Eastham, petite ville de 15 000 habitants se caractérise par d’immenses cités résidentielles tournant le dos à l’estuaire de la Mersey, et se développant vers les terres. L’obsolescence du Dock Queen Elizabeth II, ainsi qu’un contexte économique incertain sont support à une réappropriation publique des berges. Trois interventions menées par le groupe PEEL, propriétaire foncier, prendront place à l’entrée du canal. Ces interventions permettront la conciliation entre production d’énergie pour le Groupe PEEl, et activités publiques, nautiques et de loisirs pour la municipalité.
Weston Point
Les docks de Weston Point sont partiellement utilisés par une entreprise de logistique, ils occupent une surface privilégiée de 14 hectares actuellement à vendre ou à louer par Peel. Le quartier de Heath, auquel ils appartiennent, est majoritairement industriel mais comprend des zones résidentielles. La frange industrielle située en bordure du canal établit une véritable frontière entre les quartiers résidentiels et la Mersey.
L’idée principale est donc de redonner accès au site de Weston Point à l’aide de deux infrastructures pour y mettre en place des usages publics cohabitants avec les logiques industrielles en place grâce à de nouvelles hybridations programmatiques. Ici, deux interventions permettront la réappropriation des berges par le public.
Centrale de Fiddler's Ferry
La centrale charbon a fermé en Mars 2020. Sa fermeture constitue ainsi un réel enjeu. Tout d’abord pour son emprise qui condamne aujourd’hui de grandes surfaces naturelles connectées à l’estuaire mais aussi pour sa forme et le patrimoine iconique qu’elle représente. D’autre part, le Saint Helen’s Canal, qui relie l’Estuaire Mersey à la ville de St Helens est aujourd’hui condamné sur l’emprise de la centrale.
Imaginer la réouverture sur l’emprise de la centrale permettrait ainsi de relier les entités du canal à grande échelle.