Le prix de la richesse

Le prix de la richesse

La ville de Karlsruhe abrite des entreprises qui incarnent la réussite du modèle industriel allemand. Deux grandes emprises industrielles se détachent particulièrement : La raffinerie MiRo et l’usine de camion Mercedes Benz.

Le prix
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Alors que la raffinerie Miro couvre approximativement le quart des besoins en essence du pays, l’usine de camion Mercedes est la plus importante usine de camions au monde et assume un rythme de 500 camions par jour.

Le paysage productif de la ville ne s’arrête cependant pas à ces usines, car une vaste zone d’activité ceinture la ville d’Est en Ouest, englobant la gare et le port. La présence des réseaux viaire, ferroviaire et fluviale procure à cette zone une importance stratégique pour le commerce, tout en entraînant une grande complexité spatiale qui nuit à sa qualité urbaine.

Nous nous interrogeons donc sur le renouvellement de cette zone, en prenant en considération les laissés pour compte du modèle allemand, et de concilier qualité de vie, qualité de ville et production économique.

Le modèle allemand a deux visages, celui d’une puissante industrie rayonnant sur le monde, et celui d’une implacable économie, laissant derrière elle les plus démunis. Le prix de la richesse, c’est la précarité de ceux-là.

Pour illustrer cette vulnérabilité, nous avons brossé quatre portraits de ceux qui subissent ce modèle. Ces quatre figures sont un migrant, un retraité, un travailleur précaire et une femme isolée.

Le prix de la richesse
Le prix de la richesse

La précarité en Allemagne (Le prix)

Commençons par Mjad. Cet ingénieur est arrivé parmi les 20 000 Syriens durant la vague migratoire de 2015. Hébergé dans un centre d’accueil avec sa famille, il est en attente d’un titre de séjour qui lui permettrait d’avancer.

Le prix de l’attente pour Mjad est lourd, car chaque jour qui passe sans titre de séjour est un jour où il perd en opportunités.

Pour faire valoir ses compétences et s’intégrer pleinement dans la société, Mjad aurait besoin d’apprendre la langue, mais également d’être accompagné dans les démarches administratives nécessaires pour trouver un emploi ou un logement.

Le prix de l’intégration pour lui est donc de devoir surmonter de multiples obstacles, souvent financiers, pour accéder à des formations linguistiques et aux services nécessaires à son installation.

Poursuivons par Joachim, un retraité aux 350 € de pension mensuels. Le prix de la retraite, dans son cas, est extrêmement difficile à supporter, surtout quand il est confronté à des dépenses qui dépassent largement ses revenus.

Alors qu’il a travaillé et contribué à la société toute sa vie, Joachim fait désormais partie des 17 % de retraité vivant sous le seuil de pauvreté.

Pourtant Joachim n’est pas le plus à plaindre. Le prix de la pauvreté touche bien d’autres, et pour certains, la situation est encore plus précaire.

Pourtant Joachim n’est pas le plus à plaindre.

Sa bonne santé lui permet d’être un Pfandsammler, c’est-à-dire un chasseur de consignes de canettes et de bouteilles en plastique. Il aimerait obtenir un mini-job pour mieux compléter ses revenus.

En outre, quelque 450 000 retraités ne touchent que 350 € de pension. Ils ont alors besoin d’un lieu accessible pour finir décemment leur vie.

Voici maintenant Heinrich Zimmel. Son emploi à temps partiel ne lui permet de répondre aux besoins de sa famille. Il comble alors ce manque par un mini-job.

En Allemagne, 12 millions de travailleurs ont un mini-job, dont la rémunération correspond à une gratification de stage en France. Heinrich rêve d’une réorientation professionnelle, de trouver une formation compatible à son emploi du temps, afin d’exercer un métier épanouissant qui comblerait les besoins de sa famille.

Enfin, nous vous présentons Heike. À la suite de violence conjugale, Heike élève seule son enfant. En Allemagne, il existe 1,6 million de familles monoparentales, et dans deux tiers des cas, c’est à la femme que revient la charge de l’enfant.

Heike travaille donc à temps partiel pour s’occuper de son fils Karl. Elle a besoin d’un soutien psychologique, mais aussi d’une solution pour faire garder son enfant et ainsi reprendre une activité professionnelle à temps plein.

Le Spatial Agenda (Le prix)

Mettre un visage sur ces précarités permet d’humaniser et de faire exister ceux-là mêmes qui sont souvent réduits à de simples problèmes statistiques. D’autant plus qu’en analysant la structure sociale de la ville, nous n’avons pas pu déterminer de quartier sensible, où se concentrerait la pauvreté.

Cette mixité sociale est sans doute bénéfique, mais elle contribue également à rendre invisibles des personnes se sentant déjà exclues de la société. La spatialisation de l’action sociale disséminée à travers la ville montre cet état de fait.

Pour situer notre intervention, nous avons donc porté notre regard sur la politique de la ville à travers le « Spatial Agenda ».

Ce document est une sorte plan directeur à l’échelle de ville. Cette attitude pragmatique nous permet d’être en prise le réel d’un territoire dont nous sommes tenus à distance.

Il ressort de ce document une figure urbaine nommée cordon dynamique. Cette zone où se cumulent les réseaux viaire, ferroviaires et fluviaux, zone productive et commerciale, cherche aujourd’hui un second souffle.

La ville parle donc d’un « espace mal défini », mais qui constitue pourtant l’épine dorsale de son économie. La volonté est donc de stimuler la croissance là où l’espace offre un développement stratégique, c’est-à-dire dans les nœuds de mobilité, à l’exemple du quartier de la gare, propice aux commerces.

L’objectif de la ville est donc de valoriser la forte connexion de cette zone aux réseaux de transport, en renouvelant l’activité pour développer les affaires, le commerce et la recherche. L’idée est de créer des points de convergence pour la production, la recherche et la logistique.

La ville pense le cordon dynamique comme un terrain fertile, qui pourrait accueillir des start-up, mais aussi d’autres innovations inattendues. Bien que le spatial agenda ne soit pas une approche réellement dessinée, on comprend alors vers quel type de développement tend cette zone.

Nous vous proposons donc maintenant un approfondissement de ce fameux cordon dynamique. Sans remettre en question les analyses et les volontés de la ville à son égard, nous avons entrepris de le décortiquer, car derrière un zoning globalisant, se cache une richesse d’usage et de tissus. Entre industrie, atelier et autres commerces, le cordon est densément constitué.

Parmi toutes ces boîtes, nous y décelons également des lieux de cultes et de loisirs. Bien qu’il apparaisse comme une rupture entre la ville et sa périphérie, on rencontre de grands corridors paysagers qui se nouent avec le cordon dynamique.

Ces continuités paysagères offrent une opportunité pour requalifier l’espace public du cordon, qui subit l’abondance des réseaux. S’il est propice aux affaires, l’espace ne l’est pas pour les piétons, ce qui accentue cette idée de frange détachée de la ville. Il existe bien évidemment des transversales à ce cordon. La plupart d’entre elles sont automobiles et n’offrent guère plus qu’une traversée.

Cependant, on note également des passages pour des mobilités douces, à vélo, à pieds ou en tramway, offrant alors la possibilité de développer des haltes et des points d’entrées dans le cordon. Nous avons également noté que sous cette grande figure se cache une réalité plus hétérogène. Ainsi, nous avons distingué plusieurs séquences à ce cordon, selon son épaisseur, sa densité, son accessibilité, mais aussi en fonction des tissus qui le bordent.

Le Prix de la Richesse : Héritages et Conséquences de l’Industrie
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