L'île aux graines

Un équipement territorial pour un nouveau paradigme agricole

Audrey Costella_ Anaïs Gerland

EDITORIAL

L’entrée au sein de ce sujet par des événements tel que le Brexit et la récente crise du Covid nous ont poussées à revoir nos positions personnelles, mais également en tant que future architecte. Si la révolution actuelle demande un bouleversement de nos modes de vie et de pensée, porter une réflexion à l’échelle de l’objet architecturale ne suffit plus.

En Angleterre, Boris Johnson a décidé de limiter les achats sur certains produits alimentaires suite à des pénuries. Parallèlement les producteurs locaux ont dû réorganiser leur système de vente sous forme de Drive qui ont connu un succès important. Entre autres choses, cette crise est venue éclairer les conditions de notre mode de consommation alimentaire. Elle nous interroge, comment construire le monde de demain avec plus de bienveillance et produire ensemble de nouvelles richesses ? Comment rééquilibrer notre consommation en fonction des ressources réelles du territoire ? Comment régénérer nos paysages au-delà de la simple notion d’un tableau à préserver ou d’un décor à planter ? Comment se saisir d’une approche transdisciplinaire pour comprendre et fonder de nouvelles intentions communes ? 

Ce projet de l’île aux graines est donc avant tout un prétexte pour construire notre position critique globale et affirmer nos engagements pour un changement de paradigme agricole. Nous soutenons l’idée que l’architecture est un projet politique engagé au service de son territoire. Nous voulons être de futurs architectes de l’action, capable par une multitude d’effets de rendre le monde de demain plus soutenable pour lui permettre, de proche en proche, d’engager l’urgente transition nécessaire à notre époque. 

Un paradoxe agricole

Le constat d'un système agricole à bout de souffle

La plaine agricole du Cheshire fonctionnant sur un système agricole intensif de céréales destinés à l'élevage bovin et ovin.

« Tel Jardin, tel homme. Le jardin est l’image de la demeure… Il en dit tout de suite, au premier coup d’oeil, la prospérité ou la déchéance; il dit la défaillance ou l’énergie de l’habitant. C’est comme sa signature imprimée sur le sol. A l’abandon, mal tenu, le clos, ou plus précisément le jardin, où l’herbe croît, où  l’arbre fruitier est négligemment taillé, lui qui demande à être si soigneusement dirigé, où le carreau est piétiné, la fleur absente ou morte, décèle la misère matérielle ou morale. Epanoui au contraire, riche de plantes potagères et de fruits, étoilé de fleurs, respecté dans ses plantes potagères et de fruits, étoilé de fleurs, respecté dans ses planches grassement fumées, il annonce le labeur attentif, l’ordre, la discipline familiale…». 

Joseph De Pesquidoux, Editorial de Jardin ouvrier de France, de l’Académie française, septembre 1941

Un constat sans précédent

Vers un renouvellement du système

Pièces-01

La moyenne d’âge des agriculteurs en Angleterre est de 57 ans

Le métier d’agriculteur trouve actuellement très peu de relève en Angleterre.

Plusieurs facteurs sont en cause. Le premier concerne le déficit d’attractivité dont souffre le métier. Son agriculture intensive est perçue comme un travail monotone. Le second concerne les difficultés rencontrées par un jeune exploitant souhaitant s’installer, pris entre une pénurie de terres agricoles et des dettes importantes liées aux coûts des terres et de l’outillage. 

Environ 60% du revenu des agriculteurs est assuré par des subventions européennes

Les agriculteurs ont du mal à assurer leur propre revenu. 

Alors que le marché continu de se mondialiser, il devient de plus en plus difficile de rester compétitif. Il est monopolisé par de grandes entreprises capables d’influencer son cours et de parfois fixer leurs propres règles. Elles ont su au fil des années se rendre indispensables et sont souvent un facteur de dépendance important.

La Mersey est le fleuve le plus pollué d’Angleterre

Prise entre l’agriculture intensive et les industries chimiques très présentes sur le territoire, il devient difficile d’utiliser ces eaux dans les exploitations agricoles.

On ne cesse de découvrir des statistiques négatives en ce qui concerne l’évolution de trop nombreuses espèces animales ou variétés végétales. (ex: disparition de 72 % des espèces de papillons britanniques dans les dix dernières années.) 

Permettre la transition

Il faut encourager les nouvelles générations à s’intéresser aux filières agricoles. Cela commence par introduire une diversification et une nouvelle approche du métier de l’agriculteur pour influencer son image et créer plus d’attractivité. 

Les nouveaux arrivants aspirent à l’atmosphère plus conviviale des petites exploitations et des jardins maraîchers, où ils peuvent acquérir une variété de compétences. 

Faire preuve d’innovation

 

Pour accompagner les filières en transition agroécologique il faut permettre à l’agriculteur d’être économiquement indépendant et de pouvoir assurer son propre revenu. 

Afin de pouvoir déverrouiller le système, il faut donc trouver de nouveaux dispositifs de solidarités encourageant le développement de petites installations tout en continuant à faire de la recherche

Protéger ses richesses

Il est désormais temps de veiller à enrichir et diffuser la biodiversité. 

Face aux bouleversements  climatiques en cours, il devient urgent d’apprendre à développer plus de résilience sur le territoire et encourager des pratiques plus respectueuses.

Il s’agit de développer un marché force d’une agriculture relocalisée.  

Changer d'échelle pour un nouveau modèle

« Les petites exploitations agricoles (20 ha et moins) et les jardins maraîchers sont depuis longtemps passés sous silence dans la politique agricole britannique, malgré le nombre croissant de nouveaux venus qui apportent la jeunesse et l’innovation au secteur agricole. Il existe une culture d’incrédulité selon laquelle de telles exploitations peuvent être économiquement viables à une époque où les exploitations familiales de 50 à 200 hectares sont fusionnées en unités de plus en plus grandes. Malgré une «relation inverse» entre la taille des exploitations et la productivité prouvée dans les pays du Sud, peu de données existent sur la productivité des petites exploitations au Royaume-Uni. La « une question d’échelle » (AMOS) vise à remettre en question l’hypothèse selon laquelle plus grand signifie automatiquement «plus productif» et «plus viable», en collectant et en analysant des données sur les rendements, les performances financières et les avantages multifonctionnels des exploitations agroécologiques de 20 ha et moins. »

 

 Rebecca Laughton et Csilla Kiss, The Landworkers ‘Alliance et The Center for Agroecology, Water and Resilience (CAWR), Coventry University.

Il nous faut profiter de cette crise économique pour opérer une transition sociale et environnementale. Aucun système n’est totalement verrouillé, aucune situation n’est complètement irréversible. L’entrée de nouveaux acteurs peut créer des solutions favorables au déverrouillage. Cela implique de considérer des transformations cognitives, normatives et narratives. 

Une étude effectuée sur le sol anglais par Rebecca Laughton démontre qu’une transition peut-être pensée en matière d’agriculture en s’attachant à repenser son échelle. Elle affirme ainsi l’hypothèse suivante : 1000 m² cultivés en maraîchage bio permaculturel permettent de créer une activité à temps plein. Il s’agit d’une excellente nouvelle pour tous ceux qui préparent la transition vers un monde où le pétrole sera rare et cher.

La généralisation de micro fermes permaculturelles pourrait garantir une production locale, abondante et durable, de produits bio de qualité. On peut aller encore plus loin. S’il est possible de produire sensiblement autant de légumes sur 1 000 m2 que sur un hectare, cela libère de l’espace agricole qui peut être consacré à planter des arbres fruitiers, des haies, élever des animaux, installer des mares pour l’irrigation et l’aquaculture, des ruches, un éco-habitat pour le paysan, etc. Ceci permet d’imaginer des micro fermes qui couvrent l’ensemble de leurs besoins en matière organique et sont donc résilientes et autonomes.

Fig.1 Etat des lieux du paysage agricole de la Weaver River.

Fig. 2 Scénario de reconversion du paysage agricole de la Weaver River.

On peut facilement imaginer la reconversion de la plaine agricole du Cheshire et de ses hectares de cultures selon ce modèle.

Ce bassin de vie organisé le long de la Weaver River accueille un peu plus de 100 000 habitants. Il s’étale sur 14 000 hectares de surface cultivée majoritairement composée de pâturages et de cultures céréalières destinées à l’élevage.

Ce scénario a été réalisé à partir de données et de calculs simples. On part ici du postulat que le régime alimentaire de demain sera moins carnacier car plus responsable. La consommation alimentaire d’une personne  équivaudra à une surface de culture d’environ 1100 m2, soit 0,11 hectares. Sur un bassin de vie de 100 000 personnes, il faudrait donc 11 000 hectares de cultures. On sait également qu’un régime alimentaire dépend de 60 % de céréales et 40 % de cultures en fruits et légumes. C’est suivant ces proportions que l’on fait ici apparaître 6 600 hectares de céréales et 4 400 hectares de permacultures. 

On peut également se rendre compte du potentiel économique de ce système. Actuellement, 52 hectares de cultures assurent en moyenne trois emplois, soit 840 personnes à l’échelle de cet échantillon. Si un hectare peut assurer un revenu, alors ce sont potentiellement 11 000 personnes qui trouveraient une activité à plein temps. 

Pour une valorisation des paysages périurbains nourriciers par la semence paysanne

“Par le paysage, sans le paysage ou contre le paysage ?

La métamorphose profonde et urgente qu’est la Transition doit certes se décréter et s’organiser à l’échelle mondiale, européenne ou nationale mais elle doit s’incarner et se concrétiser à l’échelle d’un lieu, d’un site ou d’un territoire. Elle doit être non seulement comprise par les populations mais aussi acceptée et mise en oeuvre de façon active à travers des perceptions et des usages des espaces de vie quotidiens. La transition est nécessairement politique et paysagère.” 

Bertrand Folléa, Archipel des métamorphoses, la transition par le paysage, Parenthèses, 2019

Pour être capable d’envisager l’expansion de ce modèle, il nous faut agir sur un point économique clé, permettant de rendre accessible et encourager ces initiatives déjà présente sur le territoire. Il apparaît vite que l’achat annuel de graines stérile (tels que par exemple les fameuses « Terminator» de Monsanto), représente la part la plus importante des fraies de gestion d’une exploitation agricole. Ce système de vente d’hybrides est la clef de voûte d’une stratégie industrielle visant à transformer les fermiers en exploitants agricoles dépendants et ultimement à contrôler l’essentiel de la chaîne alimentaire.

Afin de déclencher ce processus de transformation du paysage, notre projet de fin d’étude se place comme un étendard de la lutte contre la privatisation du vivant et le monopole économique dévalorisant le métier de l’agriculteur.  Nous avons donc souhaité orienter le choix de nos programmes dans le sens de la conservation, du développement et de l’accessibilité, du droit à la biodiversité cultivé. 

L’enjeu est donc triple. Il est économique, social et environnemental.  Il doit permettre la transition en introduisant une diversification et une nouvelle approche du métier de l’agriculteur pour influencer son image et créer plus d’attractivité. Il doit être capable de faire preuve d’innovation pour accompagner économiquement les filières en transition agro-écologique. Mais il doit avant tout s’assurer de  protéger, d’enrichir et diffuser la biodiversité pour plus de résilience. 

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Fig. 3 Un site. 

Un nouvel équipement territorial

Pour un renouveau du paysage par la biodiversité cultivée

Une multitude de pratiques productives valorisent la biodiversité.

“L’agroécologie est une façon de concevoir des systèmes de production qui s’appuient sur les fonctionnalités offertes par les écosystèmes. Elle les amplifie tout en visant à diminuer les pressions sur l’environnement (ex : réduire les émissions de gaz à effet de serre, limiter le recours aux produits phytosanitaires) et à préserver les ressources naturelles. Il s’agit d’utiliser au maximum la nature comme facteur de production en maintenant ses capacités de renouvellement.”

Un parc opérant lié à des modes de consommation des richesses

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Fig. 4 Choix des produits

Un motif agricole dessiné par un changement d’outil

Le dessin de notre paysage alimentaire s’est vu modelé par l’évolution des outils agricoles. Ces dernières années, ce motif a était agrandit par les outils à énergies fossiles.

Nous défendons l’idée qu’il peut être réimaginé à partir du tout petit, à partir de l’homme. Il s’agit du premier pas nécessaire pour pouvoir recréer un paysage à échelle humaine. Pour un travail manuel du sol, la taille idéale d’une planche de culture est de 45cm, c’est à partir de cette donnée que s’est élaborée l’ensemble de ce dessin paysager.

Afin de favoriser le développement de la biodiversité dans un système agroécologique, la succession de ces cultures  ne peut dépasser 5m. À partir de cette proportion, nous avons pu décliner une multitude de terrains de culture de nature différente. L’ensemble de cette trame a dessiné une mosaïque de paysage entre espaces publics, agricultures et architectures. Ces trois projets viennent ainsi glisser entre trois paysages soit en lisières de ceux-ci, soit en leur centre.

750 terrains de permaculture

80 terrains de polyculture de céréales

230 terrains d’expérimentation

Proportion de la trame agricole 5m x 5m

Le grenier = 25 terrains de permaculture

L’agrocité = 55 terrains de permaculture

L’école d’agroécologie = 6 terrains de polyculture de céréales

Fig. 5 De la planche agricole au paysage.

Le dessin d'un paysage entre existant et productif

« Le paysage n’est pas un objet hérité d’un passé que l’on ne peut plus changer, mais une construction sociale au service des intérêts du présent. »

Jean-Pierre, Dewarrat, Paysages ordinaires, de la projection au projet, Mardaga, 2003

La construction de ce paysage est rendu possible par le concours d’un ensemble d’acteurs locaux. Individuellement, en association ou via une entreprise, ils mettent en place des dispositifs d’entraide pour engager et développer des projets diversifiés de production de semences paysannes.C’est finalement grâce à une multitude d’actions, de proche en proche, que l’on imagine la reconfiguration et la reconversion de nos paysages périurbains.

Fig. 6  Frise chronologique 

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Fig. 7  Les temps de l’île. 

Fig. 8  Un paysage vivant au fil des saisons

Motif initial

 Le cheminement principal

La berge rive gauche

La permaculture

La forêt-jardin

La polyculture de céréales en agroforesterie

Le grenier

L’agrocité

L’école d’agroécologie

Fig. 9  Une mosaïque de paysage dessinée par la trame agricole

Le dessin de l'île aux graines

En recréant un sol vivant productif et moteur d’une reconversion économique et en participant à la création de nouvelles richesses, c’est finalement toute l’île aux graines qui devient le manifeste d’une nouvelle agriculture possible soutenable. Le dessin du parc raconte ainsi l’histoire de plusieurs modèles agricoles en transition et offre naturellement une diversité de paysages. Néanmoins, il obéit tout de même à une logique productive en tant que moteur d’une reconversion économique et adopte donc un dessin pratique. Du Sud au Nord, les modes de cultures et leur paysage liés se succèdent en cohérence avec les possibilités offertes par les types de sols, d’expositions et suivant les principes de l’agroécologie.

83 hectares de surface total, 8 hectares de sols imperméabilisés

21 hectares de polyculture de céréales

12 hectares de permaculture

6 hectares de jardin-forêt

5 hectares de cultures expérimentales en zone humide

5 hectares de forêt conservée

Le grenier

Une coopérative de semence paysanne

L'agrocité

Un nouvel institut politique agricole

L'école de l'agroécologie

Un centre de formation et reconversion ​

Pour aller plus loin...

Références culturelles

Bibliographie

Ouvrages

  • CLÉMENT Gilles, Le jardin planétaire : Réconcilier l’homme et la nature, Albin Michel, 1999, 126P
  • CLÉMENT Gilles, Manifeste du Tiers-Paysage, Éditions Sujet / Objet, Paris, 2004, p9
  • DEPRAZ Samuel, Nature des marges, marges de nature, Université Bordeaux Montaigne, 10 Janvier 2018 à la APHG Bordeaux, visionné le 3 mai 2019
  • FOLLÉA Bertrand, L’archipel des métamorphoses : La Transition par le paysage, Parenthèses, 2019, 126p
  • JANIN Rémi, La ville agricole, éditions Openfield, 2017, 76 p.
  • MOLLISON Bill, Introduction à la permaculture, 2013
  • OBRAS, AJAP14, Nouvelles richesses, Éditions Fourre-Tout, 2016, 416p.
  • ROGER Alain, Court traité du paysage, Gallimard, 1997, 210 p
  • ROSENSTIEHL Augustin, Capital agricole, Chantiers pour une ville cultivée, Pavillon de l’arsenal, 2019, 408 p

Article et rapports

  • ALLEN PFEIFFER Dale, Nous mangeons du pétrole, 2003
  • ALTIERI Miguel, Enhance productivity with agroécology, 1996
  • AYESH Mohammed, Permaculture under salinity and drought conditions, 2007
  •  GENO Larry et GENO Dr Barbara, Polyculture Production, Principles, Benefits and Risks of Multiple Cropping Land Management Systems for Australia, 2001
  • GUILLET Dominique, Planète terre ou Planète désert, 2007
  • HOLMGREN David Energy and Permaculture, 1994
  • Inf’OGM, Qu’est ce que le brevetage du vivant ?, 2016
  • https://www.infogm.org/faq-les-brevets-sur-le-vivant-et-les-OGM

  • ROSSET Peter, Multiple Functions and Benefits of Small Farm Agriculture,1999
  • SILLARO Elodie, La permaculture est officiellement une activité rentable selon l’INRA , 6 septembre 2016

https://www.bioalaune.com/fr/actualite-bio/34337/permaculture-activite-rentable-inra-ferme-bec-hellouin,

  • PAROTT Nicholas  et DE  GRASSI Aaron, Feeding this generation – Agroecological approaches to food production, 2007
  • SIMMONS Luke, Agroecological analysis of a polyculture food garden on the Adelaide Plains, 2005
  • SELOSSE Marc-André, RICHARD Franck & Pierre, Plantes et champignons: L’alliance vitale, Emmanuel Courty,2007
  •  

Documentaires

  • GEOFF Lawton,Establishing a food forest the permaculture way, 2004
  • GEIFF LawtonGreening the desert (Part 1 & 2), 2009
  • MORGAN Faith, How Cuba survived the peak oil, 2006
  • MAROT Sébastien, Agriculture and architecture : Taking the country side’s

Sites internet

Vente de semence libre en Angleterre