Marges habitées
Opérations de logements entre Carrington et Partington
Irene Clara VILCHES SARMIENTO, Lina ELMOUHIB, Ferdy DREAN, Jérémy BENOIT
Une période de crise pour le logement
Cette crise du logement concerne environs 8 millions d’habitants, vivant dans des logements inadaptés sur le seul territoire anglais, soit l’équivalent de la population Londonienne. Il est possible d’expliquer ce phénomène à travers les disparités projectuelles concernant le logement. En effet, au courant de l’année 2018, seul 5% des nouveaux projets de logements étaient considérés comme accessibles. Par conséquent, de nombreux foyers se sont retrouvés à la limite de la précarité. En vue de la situation, les politiques locales du Greater Manchester encouragent l’implantation d’alternatives à l’accession privée, dans le but de réduire les risques de pauvreté associés à la précarité de l’habitat:
« For instance, Greater Manchester’s new vision for housing with an emphasis on building at least 50 000 homes that people can truly afford, is entirely consistent with the « brownfield-first » approach set out in the GMSF »
Andy Burnham, Maire du Greater Manchester
Ces déclarations posent un premier plan de ratification sur les 10 disctricts du Greater Manchester. Au final, les autorités locales se sont orientées sur 54 sites aptes à un développement urbain. La somme de logements résultants de ces implantations est estimée à 32 910 logements d’ici à 20 ans.
Le site qui nous interpelle particulièrement se trouve dans le district de Trafford, faisant l’objet d’un plan pour 6000 logements. 26 % des nouveaux logements prévus se trouvent à Trafford, 1er district en phase d’être urbanisé. L’analyse d’un site faisant l’objet d’une tel engagement semble nécessaire pour comprendre les démarches d’urbanisation de la métropole.
Sont-ce des choix prémédités par l’urgence ou par une réelle étude de site ?
Manchester, et le Royaume-Uni en général, souffre d’une forte crise de logement en raison d’une demande croissante. Dans une tentative de réponse, la métropole mancunienne recense des espaces susceptibles d’accueillir, à court moyen et long terme, de nouveaux foyers. Parmi ceux-ci, le territoire post-industriel de Carrington, établi dans le district de Trafford (ouest Manchester), compris entre la Merseyriver, le Manchester Ship Canal et une voie ferrée abandonnée, soit un territoire enclavé, est identifié pour accueillir quelques 6 000 nouveaux logements.
Une tourbière devenue enclave post-industrielle
Au coeur de cette enclave métropolitaine, une friche industrielle de quelques 250 hectares, privée et close, constitue une enclave dans l’enclave.Développée pendant près de trente années (1975-2005) sur un territoire initial de tourbières, l’activité pétrochimique a profondément bouleversé voire anéanti les écosystèmes en place . L’imperméabilisation et la contamination des sols constitue un lourd héritage dont il convient de prendre la mesure.
Carrington concentre des milieux urbains et naturels très discordants. Il s’agit d’un territoire résultat d’actions à temporalités drastiquement différentes. Sa lente fabrication géologique, interrompue par les besoins et appétences de l’Homme, se périe aujourd’hui. Ce n’est plus la particularité naturelle qui qualifie Carrington, c’est-à-dire le visage de la tourbière, si précieuse, si fragile, si lente à se former. De fait, son identité contemporaine lui est donné par la massive friche de l’industrie pétrochimique. Pollution, perméabilité, constitution.











Faire face à un lourd héritage
Plusieurs millénaires de tourbière, 30 années de d’industrialisation, 15 ans d’abandon, 60 ans de dépollution.
Ce qui est perçu comme une fatalité est finalement une leçon.
En effet, qualifier Carrington par sa seule friche industrielle revient à négliger d’autres traits tout aussi constituant du site. Le territoire est fait de rencontre entre milieux. Les lisières sont nombreuses et témoignent de la richesse du site.
Seulement, dans les faits, les lisières sont perçues en tant que limites, non de reliance. Il y a alors un réel intérêt à projeter des méthodes de ré-appropriation de ces espaces limites. Le parcours, l’attache, la traversée des différents milieux devient la manière de concevoir le futur de Carrington.
Une transformation progressive : un système-guide
L’identification des sols nous permet donc d’envisager des manières d’accompagner une possible réappropriation de ceux-ci ou d’adopter des postures plus radicales, telle que la non intervention. Cette manière d’appréhender une réouverture du territoire se veut la moins entravante possible par rapport aux besoins ponctués des futurs acteurs du site. Par là, définir des systèmes, des procédés, c’est définir des possibles, donc permettre une liberté de choix et conduire au mieux une évolution adaptée aux facteurs d’incertitude.
Ce choix est poussé par la volonté de sauvegarder les sols imperméables, constituant une richesse à Carrington, en termes de biodiversité et de qualité de vie et réinvestir ce qui a déjà été touché par l’Homme. Ainsi, la nature des sols existants nous donne des pistes à la lente réappropriation d’un site longtemps confiné et sans devenir urbain. Les conditions inhérentes à la constitution du terrain laissent entrevoir des possibles formes, des éventualités futures.
Une inscription en marge de la friche
L’évolution d’un tel territoire ne se formalise pas au travers d’un effort compris dans une temporalité finie et définie. C’est bien le caractère progressif de la ré-appropriation qui avance un accompagnement constant, dirigé vers les acteurs du site.
En conséquence d’un site encore trop pollué aujourd’hui, le désenclavement d’un tel territoire se fera donc progressivement, en marges des sites désindustrialisés. Ces marges revêtent une importance transitoire essentielle pour espérer ouvrir ces espace inaccessibles, jonctions entre milieux urbains et naturels.
En intégrant les dynamiques d’actualité au territoire existant, différentes propositions architecturales permettent de mettre en avant deux situations particulières, issues d’une réflexion commune. La première, en marges de Carrington, s’attache à une transformation par les sols hérités, quand la seconde débute une progressive migration urbaine de Partington vers les friches industrielles.
Ces deux approches se présentent finalement comme une aubaine quant au devenir de ce territoire délaissé. Aux marges de Carrington, l’importance de renforcer la mixité programmatique et la dimension domestique guident des réponses qui s’attachent à enrichir le quotidien de l’habitant. Cependant, en marges de Partington, le défi tend vers l’initiation d’une urbanisation progressive, où la ré-appropriation de la friche est permise par la mise en place d’un équipement publique à portée des habitants.
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Le premier axe d’intervention cherche à démontrer des manières de convertir des sols hérités. Les projets s’y attachant témoignent une des possibles mises en œuvre du système guide. En effet, c’est bien à partir de la qualité des sols que les usages sont incorporés, c’est-à-dire que la pratique paysagère et architecturale suit une logique de transformation. Ainsi, un inventaire d’actions menées s’enrichit à mesure que de nouveaux projets s’implantent, s’inspirant des derniers. En somme, la réactivation des sols hérités, situés en marge du cœur industriel permet de diversifier le paysage programmatique et favoriser une protection des sols non constitués.
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La seconde démarche se constitue à partir de marges liant la friche industrielle et le tissu urbain. La vocation d’une telle position est stratégique. En effet, c’est la jonction entre deux milieux aprioris opposés qui est recherchée. Un travail de suture urbaine vise à introduire un site enclavé dans le quotidien des habitants, créer des opportunités d’usages qui deviendront récurrentes à mesure que le site évolue. Ainsi, il s’agit d’une reconquête faite par les habitants. Les milieux se mêlent grâce à des dispositifs mis en place à un instant donné.
Par conséquent, ces deux types d’intervention ne s’attachent pas à une logique de plan mais s’appuie sur des méthodes souples pour faire face à l’adversité.
Malgré une certaine diversité quant aux procédés de ré-appropriation, chaque intervention vise à palier les problématiques de la crise de logement. De la réactivation de sols hérités à la mise en place d’une transition urbaine progressive, ces approches urbaines et architecturales tentent d’explorer les manières de fabriquer des espaces de vie dans un territoire de réclusion.